Biographie
Monique Deland est artiste visuelle de formation, et elle a enseigné les arts plastiques au secondaire durant près de vingt ans avant de s’orienter plus spécifiquement vers l’écriture. Ses livres de poésie sont écrits au « je », et ils se présentent sous le signe de l’intensité dramatique. Ils abordent (entre autres) le thème de la violence domestique et des liens familiaux destructeurs. Tantôt en vers, tantôt en prose, les poèmes s’écartent volontiers de l’histoire racontée pour aller à la rencontre d’un plus vaste paysage : celui du grand cosmos où le comportement des planètes et l’expansion de l’Univers résonnent avec la solitude des êtres. Ses livres ont remporté plusieurs prix dont le Grand Prix Québecor du Festival international de la poésie, le prix Alain-Grandbois, le prix Québec Amérique, le prix Félix-Antoine-Savard et le prix Émile-Nelligan. Monique Deland est membre élue à l’Académie des lettres du Québec depuis 2014.
Entrevue
J’étais une élève assez rebelle à l’école. J’étais toujours à côté. Je ne lisais pas les livres à l’étude. Et lors des examens oraux ou écrits, je me débrouillais pour avoir l’air de. À partir du titre du livre et de quelques pages survolées à la sauvette, j’imaginais le reste.
Par ailleurs, dans bibliothèque familiale il y avait un livre de Baudelaire : Les paradis artificiels. La couverture de toile rouge et le lettrage doré du titre m’attiraient. Le livre était beau comme un missel. Ça suffisait pour que je l’ouvre.
Le livre parlait de vin et de haschich. Jeune adolescente, je savais déjà très bien ce que c’était. Je ne me souviens d’aucun poème en particulier, mais plutôt de l’effet que l’ensemble avait sur moi. Je trouvais la langue si étrange que je me demandais constamment si ce que je comprenais était bel et bien ce qu’il y avait là-dedans. C’est cet écart-là qui m’intéressait.
Je suis arrivée sur le tard à la littérature, après avoir enseigné les arts visuels pendant près de vingt ans. J’étais dans la trentaine, quand j’ai écrit mon premier livre. Je n’avais aucune intention de le publier. La publication a été un choc pour moi. J’admirais les poètes de très loin. Parmi eux : la grande Denise Desautels qui m’a tendrement, mais fermement encouragée à publier mon travail. Mon amour pour elle était tel que je lui ai fait confiance.
La réception critique de ce premier livre a également été une surprise pour moi. Disons que l’épaisse médaille de bronze frappée à l’effigie d’Émile Nelligan et reçue des mains de Gaston Miron, ainsi que la présence de nombreux poètes importants dans la salle (c’était en 1995) m’ont envoyé un signal fort. Mais je n’étais convaincue de rien. Je ne le suis toujours pas, d’ailleurs.
À mes yeux, le travail des poètes s’apparente beaucoup au travail des peintres. Ça tourne autour de la notion d’harmonie. (Bien sûr, la disharmonie est une version très intéressante de l’harmonie !)
Dans le monde de la peinture, il existe une forme d’art japonaise appelée NOTAN. C’est un principe de design où les formes sont simplifiées à l’extrême, et où la composition est réduite à un très fort contraste entre le noir et le blanc. Tous les éléments qui pourraient être une source de distraction (comme la couleur, la texture et les détails) sont supprimés.
À cause de l’exigence de concision qui est associée à la poésie, je crois que les poètes sont appelés à travailler un peu comme ça. On enlève tout ce qui ne va pas dans le sens de l’unique effet recherché.
« Devant derrière » fait partie d’un livre qui entendait faire un bilan (non exhaustif !) des infortunes, pertes et autres violences reliées à l’expérience de vivre. Je fais partie des nombreuses personnes pour qui ces épreuves ont commencé très tôt dans l’existence, et dans ces cas-là, il peut être difficile de voir la vie autrement que comme une succession de chutes, de catastrophes et de brutalités inévitables. On se dit : il y en a eu, et donc il y a en aura. C’est derrière, ça sera devant.
Je me vois très bien faire partie de ce décor-là avec tous les autres accidentés de la route de la vie qui, comme moi, sont contraints de faire avec la férocité de l’existence. On est là, on fait partie du décor. On fait partie des morceaux qui traînent. Éparpillés dans le décor.
Je choisirais « Il existe pourtant... » de Marie Uguay, pour le courage d’affronter ses rêves de beauté et de bonté, même au plus noir du creux, au plus creux du noir.